Il ne vous a certainement pas échappé que depuis quelques années, s’il y a un sujet dont on parle énormément notamment comme moteur économique c’est bien l’entrepreneuriat. A tel point que cela semble accessible à tout un chacun, à condition bien sûr d’éviter les écueils. Nous avons avons donc interrogé l’un des entrepreneurs les plus en vue dans la diaspora : Philippe, à l’initiative de la chaîne” Investir Au Pays” et de formations dans de nombreux domaines à la fois accessibles et porteurs. Comme il le dit si bien, c’est parti !
CBN : Tout le monde peut-il entreprendre ?
Philippe : Très clairement ma réponse est oui. En revanche, tout le monde ne peut pas entreprendre dans le même domaine. Je pense qu’on a tous des appétences, des facilités dans certains domaines, domaines dans lesquels on se sent “comme un poisson dans l’eau” comme j’aime souvent dire. […]Le problème est que beaucoup veulent se lancer dans entrepreneuriat en faisant comme les autres et donc en s’orientant dans des domaines qui ne sont pas faits pour eux. Au final cela s’avère être un échec. Mais je pense que dans notre vie de tous les jours nous entreprenons déjà à divers niveaux. Nous entreprenons dans le cadre de nos vies, dans le cadre de nos études, dans le cadre de nos foyers, de nos projets de mariages, de l’éducation de nos enfants. Tout cela ce sont des projets qui demandent des capacités entrepreneuriales donc il n’y a pas de raison de dire que tel peut ou ne peut pas, c’est plutôt une question de domaine vers lequel on peut se tourner. Maintenant, dans entrepreneuriat on n’a pas tous les mêmes aptitudes non plus. Ce qui voudrait dire qu’il faut savoir s’entourer. Celui qui est moins habile doit savoir s’entourer de plus de personnes et celui l’est plus pourra faire tout seul. Et cela, c’est souvent une confusion de penser qu’entreprendre veut dire tout faire tout seul, tout du moins au début. Donc on peut se lancer dans l’entrepreneuriat en ayant conscience de ses manquements et s’entourer de personnes qui vont bien nous compléter.
CBN : Qu‘est ce qui explique ta passion pour l’entrepreneuriat ?
En fait, déjà le constat que le modèle salarial n’est pas un modèle dans lequel je peux m’épanouir. Cela me limite dans ce que je peux faire. Dans le cadre d’une entreprise tu ne peux faire que ce que l’on te demande faire. Tu ne peux pas t’amuser à être créatif ou à mener des projets qui n’ont rien à voir avec le domaine de l’entreprise. Donc, c’est très limitant. Et ensuite la liberté que ça enlève bien évidemment, liberté de pouvoir se mouvoir. Généralement quand tu es salarié tu es fixé dans des horaires bien précis, tu ne peux pas décider un matin de passer plus de temps chez toi ou d’aller voir ta famille. Tu es obligé d’être soumis aux contraintes que ton patron te pose ce qui est une forme d’esclavage puisque tu perds ta liberté de mouvement […]Il faut que tu restes dans l’entreprise et que tu fasses ce qui tu es attendu de toi. En plus de tout cela, la passion vient aussi du fait que je me suis rendu compte que l’entrepreneuriat était un vrai vecteur de liberté, et aussi un vecteur d’émancipation. J’ai en effet réalisé qu’au travers de l’entrepreneuriat je pouvais m’émanciper moi-même de mon propre quotidien et de mes propres limites, mais aussi permettre à d’autre de le faire. C’est bien pour cela que je crois que l’entrepreneuriat et l’investissement sont des canaux au travers desquels les Africains peuvent se développer.
CBN : Tu as créée la chaîne Youtube “Investir Au Pays”, tu y dis des choses parfois dures à entendre, espères-tu susciter chez tes abonnés un sursaut d’orgueil ?
Philippe : “Dures à entendre” ? Je ne sais pas… Je pense que c’est d’un point de vue occidental qu’on considère les choses comme ça. Parce que je me rends compte que nous les africains avons culturellement l’habitude de nous dire les choses telles qu’elles sont. Ces choses là peuvent paraître dures, mais ce sont des choses nécessaires à entendre dans un monde ou tout tend à être lisse et policé. Il faut pouvoir encore aujourd’hui avoir le courage de dire ce que l’on pense et de dire ce qui peut faire mal mais qui par la suite va donner des résultats intéressants. Et dans ma chaîne l’idée est d’essayer de bousculer les choses, de secouer le cocotier avec pour but d’essayer de faire comprendre aux gens qu’ils ont un potentiel et qu’ils sont train de gâcher leur vie. Ils sont en train de gâcher leur vie en respectant les conventions, parce qu’ils font ce que leur parents, la société leur ont dit et aussi parce qu’ils sont en train de perdre du temps et de l’énergie dans un domaine dans lequel ils ne seront jamais excellents. Ils gagneraient plutôt à mieux se connaître, à savoir quels sont leurs appétences, leur capacité, et compétences et à les mettre au service de quelque chose de beaucoup plus grand. Quelque chose qui va leur permettre de s’épanouir davantage. L’idée est de dire qu’il y a une alternative à tout ce qui existe déjà et à ce qui semble tracé pour nous.
CBN : Parle-nous de ton expérience de l’investissement dans ton pays d’origine, le Cameroun. Qu’est-ce que tu en retires ?
Philippe : Pour ce qui est de l’investissement dans mon pays d’origine le Cameroun, j’ai commencé il a plusieurs années en achetant des terrains et ensuite j’ai continué à me diversifier en investissant dans tout ce qui concerne l’agriculture en acquérant des terrains agricoles, les premiers c’était pour l’habitation. Et par la suite, j’ai commencé à valoriser ces terrains là au travers de l’agriculture et de l’élevage, sachant que pour moi le vrai challenge était que j’habitais loin du Cameroun. Aujourd’hui je suis plutôt satisfait de ces investissements c’est pour cela d’ailleurs que j’invite d’autres personnes à le faire, même s’il y a eu pas mal de barrières. Je me rends compte que l’Afrique a énormément de potentiel, qu’il y a énormément de choses à faire sur place, énormément de moyens d’apporter de la valeur, énormément de manières de changer le quotidien des gens en faisant des choses parfois toutes simples, mais de façon a avoir un impact réel dans la vie de ces personnes. Je réalise qu’au travers de mes projets je permets de nourrir des familles, d’apporter des sourires, de scolariser des enfants, de redonner de la dignité à des parents en leur permettant de jouer leur rôle de pourvoyeur des besoins de leurs enfants, je contribue de manière claire à l’économie puisque les produits qui sortent de mon champs alimentent le marché, permettent d’apporter davantage ma pierre à l’édifice de l’autosuffisance alimentaire qui est très difficile dans nos pays de nos jours. Donc, oui il y a plusieurs moyens de se rendre compte de la pertinence de ce que l’on fait et de trouver les motivations de continuer. Aujourd’hui on réfléchit à faire de la transformation afin d’aller toujours plus loin dans les choses qu’on réalise avec pour but d’apporter toujours plus de valeurs et de répondre aux besoins d’un marché en permanence en fluctuation.
CBN : Dans quelle mesure la diaspora a-t-elle un rôle clé à jouer dans le développement de l’Afrique et quels sont, selon toi, ses principaux freins ?
Au niveau des freins, il y en a plusieurs. Les 1ers ce sont les gouvernements qui ont trop souvent tendance à considérer la diaspora comme des ennemis. Donc à leur mettre des bâtons dans les roues, à instaurer des réglementations stupides et absurdes, qui quand on y regarde de plus près ont pour but d’éloigner la diaspora de restreindre l’action de celle-ci. Parce que pour beaucoup de pays, la diaspora fait partie de l’opposition. Elle a souvent quitté le pays n’étant pas contente de la façon dont il était géré. Donc, pour beaucoup la diaspora sont des ennemis à abattre , à éloigner, d’autant plus que la diaspora ne se taira pas là où les gens localement se taisent. La diaspora a été habituée à vivre dans un environnement un peu plus libre, dans lequel elle peut s’exprimer, ce qui est parfois difficile dans certains de nos pays.
Quand on a enlevé ce frein, on a aussi le frein familial. Beaucoup en Afrique pensent que lorsque tu fais partie de la Diaspora tu es riche, tu as beaucoup d’argent et donc quand tu es en interface avec eux, leur seul objectif est de te soutirer le maximum de sous possible. D’où le fait que de nombreuses personnes de la Diaspora se font arnaquer, avec des sommes parfois considérables par des personnes qui leur sont très proches. Il s’agit même parfois de parents, de frères et sœurs de sang à l’origine de mascarades qui ont emmené des personnes à être complètement ruinées dans des constructions par exemple, cas classique en Afrique, mais il en existe d ‘autres encore.
La distance aussi peut être un frein. En effet, gérer un projet à distance n’est pas évident, ça demande une méthodologie, des outils et d’ailleurs pour beaucoup c’est impossible. Du coup, ils n’essayent même pas persuadés que c’est impossible, ils quittent la salle avant même que le bal n’ait commencé. Il y a encore beaucoup de freins dont on pourrait parler, mais la bonne nouvelle est qu’il y a des moyens de surmonter ces obstacles qui de manière apparente sont des blocages.
CBN : Lorsque finalement on décide de se lancer on fait face sur le terrain à la corruption, les problèmes administratifs, le manque de personnel qualifié ou le scepticisme de l’entourage etc… C’est souvent à ce moment qu’on jette l’éponge, ou qu’on puise dans ses dernières ressources. Comment se « préparer » à tout ça ?
Philippe : la 1ère chose pour se préparer à tout ça c’est de se former. Lorsque tu vas te lancer dans un domaine dans lequel tu n’as aucune connaissance c’est très facile de te faire arnaquer, voler, tromper. Parce que tu ne sais pas du tout de quoi on parle. D’ailleurs, j’ai reçu ce matin une cliente qui me transmettait un devis d’un agriculteur au pays qui pratiquait des prix 2 à 3 fois plus élevés que les prix normaux. Elle m’a écrit en me disant : “Voilà Philippe le devis que j’ai reçu, je n’en ai aucune idée, est-ce pertinent ou pas ?” Voilà le type de pièges auxquels les gens sont confrontés. Donc bien évidemment les personnes sur place surtout quand ils savent que tu viens de l’étranger, doublent voire triplent les prix. Les alternatives sont d’une part la formation et d’autre part aussi d’essayer de se re-familiariser avec le terrain local. On a en effet souvent la fausse idée de penser qu’on continue de connaître l’Afrique alors qu’on n’y vit parfois plus depuis plusieurs années. Il faut entreprendre la démarche de rentrer, à minima une fois par an, pour se familiariser de nouveau avec les gens sur place. Recommencer à écouter, s’informer de leur manière de penser, de voir les choses. Au fur et à mesure se replonger dans l’ambiance des affaires. Je crois qu’on est beaucoup plus serein quant à l’idée d’entreprendre quand on a suivi ces premières étapes.
CBN : Sur ta chaîne tu cites souvent Thomas Sankara, quelle est son influence dans tes projets ?
Thomas Sankara est quelqu’un qui a eu une influence prépondérante sur moi de manière globale, pas uniquement en tant qu’entrepreneur, parce que c’est quelqu’un chez qui j’ai retrouvé de la fierté. En grandissant j’étais très surpris de constater que les Africains courbaient systématiquement la tête, étaient la risée de tous et clairement je n’étais pas préparé à ça. Donc le jour où j’ai entendu Thomas Sankara pour la 1ère fois, je me suis dit : voilà quelqu’un qui parle comme j’aurais souhaité que tout le monde puisse parler, étant donné que nous sommes victimes d’injustices en Afrique. Au-delà de ce qu’il pouvait dire, en étudiant sa vie je me suis rendu compte que c’était qu’il était cohérent, pas juste quelqu’un qui prônait quelques valeurs et qui, une fois au pouvoir avait complètement changé. Son intégrité son sens du devoir, son amour pour le prochain et pour l’Afrique ont définitivement fait grandir en moi les mêmes sentiments. Bien évidemment, je suis très proche des valeurs qu’ils partageaient et c’est aussi pour cela que dans ma logique de faire du business, je ne fais pas un focus prioritairement sur l’argent, même si c’est important d’en gagner ; mais plus sur l’apport que je vais avoir vis à vis des gens autour de moi et surtout à l’Afrique. On se plaint beaucoup de la condition actuelle du Continent mais je pense que chacun de nous à un niveau ou à un autre, peut agir pour faire que les choses changent. L’entrepreneuriat justement est un moyen facile ou du moins accessible pour tous, beaucoup plus accessible que la politique et qui nous permet d’avoir des leviers d’action. Sankara est donc un personnage dont le parcours, la vie et l’histoire m’ont définitivement marqué.
CBN : Tu as fait deux conférences en Afrique récemment (Bénin et Côte d’Ivoire), quel est ton ressenti ? Quelles sont tes prochaines destinations ?
Philippe : Mes deux séjours en Côte d’Ivoire m’ont fait beaucoup de bien car ils m’ont permis de me conforter dans certaines positions, mais aussi de réaliser davantage certaines choses. Notamment de réaliser que les réalités africaines sont très proches. Tous les pays ne se ressemblent pas, il y des conjonctures, des problématiques différentes mais avec un fond commun. L’un d’entre eux est que beaucoup de pays se battent pour s’en sortir économiquement, parce que sur place ce n’est pas évident, mais paradoxalement à cette misère parfois on retrouve quand même des personnes très résilientes, joyeuses, des personnes avenantes ravies d’aider les autres. Je me suis vraiment senti à l’aise là-bas. Il faut rappeler que je me suis rendu dans ces pays dans le but de partager mon expérience d’entrepreneur et de motiver les gens sur place à se lancer. Parce qu’encore plus en Afrique, on ne peut pas se contenter de s’attendre à avoir un patron, sachant qu’il n’y a pas de sécurité de l’emploi et surtout, il y a beaucoup de richesse sur place à exploiter. C’est un peu aussi ma manière de contribuer à rendre à l’Afrique ce qu’elle m’a donné, en y allant, en formant des personnes, en voyant comment elles peuvent devenir elles-mêmes des vrais piliers sur lesquels s’appuyer pour faire une différence sur le Continent. Mes prochaines destinations : Dakar le 15 juin pour une formation en entrepreneuriat, donc j’espère qu’il y aura beaucoup de Sénégalais ! Ensuite, j’irai à Douala au Cameroun, probablement pour la fin du mois, pour une conférence. D’autres destinations arrivent : la RDC à Kinshasa ; Luanda en Angola et d’autres qui sont en préparation. Sachant qu’à la rentrée j’aimerais aller non pas en Afrique mais à la rencontre de la Diaspora africaine à Montréal et pourquoi pas aux Etats-Unis.
CBN : Quel est ton message pour la jeunesse afro-descendante qui souhaite entreprendre ?
Philippe : Mon message pour la jeunesse afro-descendante qui souhaite entreprendre c’est de ne pas hésiter à se lancer mais de ne pas le faire de manière aveugle et naïve. Il faut pouvoir regarder et bénéficier de ceux qui ont eu l’expérience avant nous, pour éviter de retomber dans les mêmes travers et les mêmes pièges. L’Afrique a ses particularités, ce n’est pas plus difficile d’investir et d’entreprendre en Afrique qu’ailleurs. C’est juste différent. Là ou il y a un cadre légal sécurisé en Europe qui en rassure beaucoup mais qui n’existe pas en Afrique, se trouvent des opportunités beaucoup plus faciles à exploiter qu’en Europe. Ce sont des choses qui s’équilibrent en fait, il ne faut pas juste voir le côté négatif, mais voir aussi les opportunités qu’il y a. En résumé je suis toujours enclin à motiver les gens à se lancer en leur précisant bien qu’il existe des réalités qu’il faut prendre en considération pour éviter les mêmes pièges dans lesquels nos prédécesseurs sont tombés […]. L’Afrique regorge d’opportunités, il ne faut pas baisser les bras aux premières difficultés, car ce sont les mêmes que tous les conquérants rencontrent et ce sont ceux qui parviennent à les résoudre et à les surmonter qui finissent pas réussir dans leurs projets.
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